mercredi 29 avril 2009

Siné Hebdo #34 : Siné a vu Otis


29 avril 2009

La carrière d’Otis Redding a été fulgurante. Son premier grand succès date de 1965 et il meurt deux ans après, à 26 ans. Entre temps, il vient deux fois à Paris, en 1966 et en 1967. La deuxième fois, il est entouré de son groupe fétiche, Booker T. and the MGs, et accompagné de Carla Thomas, Sam and Dave, Arthur Conley... C’était, aux dires des connaisseurs, sa plus belle tournée et un disque vient de sortir pour en témoigner: Otis Redding Live in London & Paris. A l’Olympia, en mars 1967, Siné y était. Il fallait que je lui demande de nous raconter. Suite de l’entretien avec Siné et Catherine, chez eux en mars 2009...

Dror: Est-ce que vous écoutiez les paroles ou juste la musique?
Siné: Les paroles, c’est pas que je m’en foutais, mais je ne comprenais pas. Après, quand je devenais fan, j’essayais de les transcrire une fois que j’avais le disque, chez moi. Mais en concert, je ne parle pas assez bien l’Anglais. Ca m’a toujours un peu fait chier d’ailleurs. Après tout, je me dis que peut-être c’est mieux. Quand ils disent «allez, applaudissez», et Otis Redding faisait ça aussi, tu te dis qu’en français ce serait insupportable, mais là, à chaque fois ça passe. On est de mauvaise foi, faut dire, ou plutôt de parti pris! Finalement je suis peut-être privilégié de ne pas comprendre l’Anglais!
Dror: Tu te souviens de Sam and Dave ? Y en a qui disent que c’était même mieux qu’Otis Redding ?
Siné: Oui, presque. Surtout Hold On, I’m Coming. C’est vrai qu’ils m’ont bluffé parce que Otis Redding, je savais qui c’était, alors que Sam and Dave je n’avais jamais entendu parler d’eux, donc en plus c’était une découverte.
Dror: Don Byas, le saxophoniste de Jazz, était au concert d’Otis Redding à Paris: ça t'étonne?
Siné: Don Byas était subtil, c’est lui qui avait joué sur Laura (du film d’Otto Preminger). Comme sax ténor, il n’était pas tellement apprécié parce qu’il fallait être un peu intello pour le suivre, il n’était pas du tout Soul. Mais ça ne m’étonne pas qu’il aimait Otis Redding. Il y avait plein de mecs qui l’aimaient. Otis Redding, je ne vois pas comment on peut ne pas l’aimer...
Catherine Sinet: Otis Redding n’était quand même pas si connu que ça. Nous, on l’écoutait en boucle et je me souviens du nombre de gens à qui on l’a fait découvrir... Mais par exemple, dans les boites de nuit, chez Castel, très vite tu as entendu Sam and Dave, James Brown (tu l’entendais non-stop), Aretha Franklin, Marvin Gaye... Par contre, Otis Redding tu ne l’entendais pas, il fallait le demander. Pourtant ça se danse bien... Et quand, à la maison, on le mettait, tout le monde disait «putain, quelle merveille» mais je me souviens que chez Castel il fallait que je fasse chier le DJ pour qu’il le mette! Maintenant, on nous ressort plein de trucs en nous disant qu’ils étaient connus dans les années 70, ce qui est faux. Eh ben, je suis désolée mais Otis Redding c’était pas tellement à la mode! A l’époque il y avait d’autres mecs qui étaient hyper connus: Les Platters...
Siné: Only You, qu’est-ce que j’ai pu bander là-dessus...
Dror: Dans ce contexte, vous mettez où Elvis Presley? Les Beatles ? Les Rolling Stones ?
Siné: Elvis Presley, je n’ai jamais écouté ! Ca me faisait carrément chier. Ce copieur ! Surtout que j’étais vachement plus intransigeant à l’époque que maintenant. Mais même, j’ai réécouté Elvis Presley : ça ne m’a jamais plu. Et puis la tronche, le look, tout est moche ! J’aimais bien les Beatles, je détestais Mick Jagger.
Dror: Et le fait qu’Otis Redding reprenne des chansons des Beatles ou des Rolling Stones ça vous faisait quoi ?
Siné: Moi je ne savais même pas que c’était des reprises!
Dror: Et il y avait des Français aussi à l’époque. Vous aimiez bien ?
Siné: Eddy Mitchell il était cool. Johnny Halliday ça a toujours été de la merde. J’ai fait des dessins pour Dick Rivers et les Chats Sauvages, parce que je faisais des chats à l’époque, ils m’avaient demandé un dessin qu’ils avaient dessiné sur la batterie. Nino Ferrer, c’était bien, il était venu chez Castel, il ne connaissait qu’une chanson ou deux. Nicole Croisille elle chantait bien... Il y avait aussi Patricia Carli. Elle a fait un tube, (Arrête, Arrête) Demain Tu Te Maries, une connerie, mais elle a fait un malheur. Et puis elle n’a jamais fait de deuxième disque !
Dror: Et d’autres musiques ?
Siné: J’avais un pan de mes disques, à l’époque c’était encore des vinyles, que j’appelais « Soupe ». Et là il y avait des mecs qu’on adorait, Trini Lopez, Dario Moreno... A chaque fois qu’il y avait une soirée, on les foutait et ça plaisait à tout le monde. Il y avait les Four Freshmen....
Par contre le Blues pur m’a toujours fait chier, Lightnin’ Hopkins, Memphis Slim, tous les puristes... Il y en a quand même une que j’adore c’est Koko Taylor, c’est grandiose
Catherine: A l’époque il y avait aussi beaucoup la Salsa, c’était important. Il a réussi à m’en dégoûter, c’était 24h/24, à fond la caisse, toute la journée...
Siné: A un moment je n’écoutais que ça...
Catherine: A un moment ? Ca a duré 15 ans ! J’ai tenu 4 ans, mais au bout de 4 ans, j’ai décroché. C’était l’enfer à la maison, matin, midi et soir. Il y a eu le Jazz avant moi (Catherine a connu Siné dans les années 60). Quand je suis arrivée, c’était en plein Otis Redding, la Soul etc... Ensuite c’est devenu la Salsa dans les années 70. Ca a duré 15 ans. C’est par tranches de dix ans, il est obsessionnel.
Tu veux que je te dise pourquoi il a arrêté d’aimer la Salsa ? Un jour, j’ai eu Ray Barretto au téléphone. Je vais pour lui donner le numéro de téléphone de Siné, mais il dit «non, non, c’est à toi que je veux parler», et il m’invite à son concert le soir. Quand arrive Siné, je dis à Ray Barretto «je te présente mon mari», et ça s’est vu qu’il l’avait vraiment mauvaise. Et Siné, il l’a eue mauvaise aussi. Et finalement ça m’a fait des vacances, on a arrêté d’écouter de la Salsa ! Siné est revenu au Jazz il y a 15 ans. Pendant 15 ans, il n’a pas écouté un seul disque de Jazz. Il est obsessionnel.
Dror: Et le Flamenco ?
Siné: Un peu toujours, mais ça n’a jamais été autant. Parce que quand t’en écoutes trois heures, ça plombe un peu. C’est un peu lourdingue et ça te file un peu le bourdon. Et puis les fans de Flamenco, c’est un peu comme les fanas de Jazz, ils sont un peu casse couilles !
Catherine: Quand on allait en Espagne, c’était un sujet de bagarre parce qu’on écoutait du Flamenco DOUZE heures par jour, on ne pouvait pas faire autre chose ! Siné, il a un côté complètement obsessionnel !

Suite de l’entretien avec Siné à Siné Hebdo en avril 2009:
Dror: Tu m’as dit que tu as aussi vu James Brown à New-York en 1961?
Siné: Je partais pour voir du jazz, mais j’avais demandé à un copain les adresses où je pourrais entendre de la musique d’avant garde. Il m’a donc donné les noms des clubs de jazz, où je suis allé, mais aussi de clubs de rythm and blues, en plein Harlem. Par exemple la Saint Nicholas Arena (St Nicks’) ou l’Appolo. Quand je donnais l’adresse au taxi, il nous disait « OK, je vous dépose là-bas, mais après je me casse, vous vous démerdez sans moi ! ». Je demandais un ticket au guichet et, quand je tendais la main pour donner l’argent, la caissière voyait une main blanche et se penchait pour voir qui c’était, elle était tellement étonnée ! Parce que, une fois rentrés, avec ma femme (pas Catherine, la mère de Maud), on était les deux seuls blancs de la salle !!! Le concert était composé de plein de groupes qui se succédaient. Je crois que parmi eux il y avait James Brown, mais je ne suis pas entièrement sûr. En tout cas c’était des groupes qui lui ressemblaient, ce genre de musique. Une musique pour danser, et tout le monde dansait. Je me souviens que j’étais un peu intimidé d’être le seul blanc mais je prenais mon pied, je regardais les musiciens. A un moment, un grand noir invite ma femme à danser. Bien sûr, elle accepte et je suis content parce que ça veut dire qu’on est « acceptés », mais d’un autre côté, il me provoque, il danse devant moi en serrant ma femme de très près, et en dansant de manière hyper lascive, et le pire c’est que ça avait l’air de plaire à ma femme ! Mais la provocation a continué puisque moi aussi je me suis fait inviter à danser par une femme, sous les yeux de son mari ! Elle aussi me collait et me léchait l’oreille, mais ça ne me faisait aucun effet parce que j’étais terrorisé de rendre son mari jaloux ! Mais c’est un super souvenir quand même...
Dror: Et le jazz alors ?
Siné: Je passais toutes mes soirées et tout mon argent là dedans, j’étais là pour ça. Je commençais par un concert de Coltrane dans Greenwich Village, puis je prenais un taxi (je me suis ruiné en taxi !) pour Harlem pour aller voir Eric Dolphy, puis j’allais encore ailleurs. Mais tous les soirs, je recommençais le même circuit, j’ai vu les mêmes artistes plusieurs soirs de suite. A la fin les barmen me reconnaissaient, et ils ne comprenaient pas pourquoi je revenais tous les soirs ! J’essayais de voir de la musique tout le temps et partout, dans des petits clubs, dans des salles de concert et même dans des cinémas. Je me souviens qu’il y avait de la musique live, avec de supers musiciens, entre deux films, et que j’ai payé plusieurs billets de cinéma sans même voir le film, juste pour voir les concerts. Je crois bien me souvenir que c’est là que j’ai vu Ray Charles, live dans un cinéma, entre deux films. A l’époque, son tube c’était Busted, on l’entendait partout, c’était génial !
Dror: Et la mort d’Otis Redding, ça t’a fait quoi ?
Siné: Oh la la ! Je m’en souviens। Quelle tragédie ! En plus dans l’avion, il est mort avec tous ses musiciens. C’était vraiment une tragédie, et pas que pour moi, mais pour l’humanité toute entière !

Archives rares:
Dans les chroniques qu'il écrivait pour Jazz Magazine, entre 1966 et 1970, Siné parle souvent d'Otis Redding et vous verrez qu'il qualifie sa musique de "jazz à l'état pur"! Vous verrez qu'il n'a pas non plus beaucoup changé de goût en 40 ans! Voici cinq reproductions rares d'articles de décembre 1966, avril, mai et juillet 1967, avril 1968 et janvier 1970:



Le disque:
Otis Redding, Live in London & Paris, Stax-Universal (2008).
http://www.concordmusicgroup.com/albums/Live-In-London-Paris-STX-30892-02/
Pierre Daguerre, expert en musique Soul, nous précise que dans ce disque, seul le 7ème morceau (la version londonienne de Satisfaction) est inédit. D'autre part, des erreurs d'étiquetage se poursuivent: les morceaux 4, 5 et 6 ont en fait été enregistrés à Paris alors que les morceaux 10, 11 et 19 ont en fait été enregistrés à Londres, contrairement à ce qui est indiqué...

Le DVD:
Le DVD dont je parlais, qui permet de voir l'un des concerts d'Otis Redding et de la revue Hit The Road Stax, en l'occurrence celui d'Oslo, s'appelle "The Complete Stax Records Story", distribué par Universal. C'est un double DVD. Le premier retrace l'épopée de Stax, le deuxième est constitué de ce fameux concert. Un autre DVD est sorti récemment sur le grand Otis: "Dreams to Remember", avec des images de toute sa courte carrière...

Concerts cette semaine:
30 avril Duc des Lombards (Paris): Leon Parker et Giovanni Mirabassi, excellents batteur et pianiste de jazz
1 mai L'Entrepot (Paris): Desert Rebel, le nouveau groupe d'Amazigh Kateb, l'ancien chanteur de Gnawa Diffusion
2 mai Théâtre des Abbesses (Paris): Syrine Ben Moussa, l’une des rares occasions d’assister à Paris à un véritable concert de Maalouf, cette musique savante de l’Est algérien et de Tunisie.

mardi 21 avril 2009

Siné Hebdo #33 : Musique Universelle



22 avril 2009

L’article original:
Thomas Fritz, Sebastian Jentschke, Nathalie Gosselin, Daniela Sammler, Isabelle Peretz, Robert Turner, Angela D. Friederici and Stefan Koelsch «Universal Recognition of Three Basic Emotions in Music» Current Biology 19:573-576 (2009)
http://www.cell.com/current-biology/abstract/S0960-9822(09)00813-6

Quelques extraits de musique utilisés pour cette étude:
Mafa
Occidentale

Concerts cette semaine:
21-26 avril Bourges: Le Printemps de Bourges avec entre autres Ben Harper, Arthur H, Amadou et Mariam, Keziah Jones, Toots and the Maytals, Tryo, Zone Libre, Eli Paperboy Reed, Belleruche, Alice Russell, Bonnie Prince Billy, Melissa Laveaux...
http://www.printemps-bourges.com
23 avril New Morning (Paris): Pawolka, des guadeloupéens très proches du LKP
24 avril La Cigale (Paris), 25 avril Bourges, 26 avril Marseille: Bonnie Prince Billy, comment la country américaine peut aussi être une musique alternative et rebelle

Une fois par mois au Cinéma La Pagode (57 bis rue de Babylone, Paris 7e), une excellente projection de films de jazz sous le titre « Racine Jazz ». Malheureusement le dernier vient de passer et il n’y a pas de bon site web qui en annonce le programme à venir. Alors gardez les yeux ouverts pour la mi mai.

mercredi 8 avril 2009

Siné Hebdo #31 : Ethio Jazz



8 avril 2009

Un morceau :

L’un des seuls morceaux de Mulatu Astatké qui ne soit pas dans le fameux Ethiopiques 4. Il se trouve dans Ethiopiques 10, consacré à la Tezeta, le blues éthiopien. Ce morceau s’appelle Gubèlyé.

Le site web officiel de Mulatu Astatké :
http://www.ethiojazz.com/

Le Nouveau Casino : 109 rue Oberkampf, Paris 11e
http://www.nouveaucasino.net/

D’autres concerts cette semaine à Paris :
8-10 avril Sunset (Paris): la chanteuse de jazz Demi Evans
10-11 avril Duc des Lombards (Paris): Les frères Ferré (jazz manouche) avec les Frères Belmondo (jazz cuivré)
14-15 avril Bataclan (Paris): Raphael Saadiq, jeune chanteur qui recrée le son Motown et on s’y croirait...