mercredi 22 août 2018

ELO#336 - Queen of Soul Forever

22 août 2018

Avec Aretha Franklin s'éteint mon artiste vivante préférée dont j'ai souvent parlé ici, l'une des plus belles voix qui ait jamais existé, au service de certaines des plus belles chansons que la musique soul ait pu produire... alors ça va être difficile d'être concis et organisé...


Commençons par le meilleur album de tous les temps. Pas un morceau, pas une note, pas un mot d'Aretha n'est en trop ici:

Aretha Franklin, mars 1967



1. Respect (chanson écrite par Otis Redding) - 0:00
2. Drown in my own tears (chanson popularisée par Ray Charles) - 2:27
3. I never loved a man (the way I love you) (chanson écrite pour l'occasion par Ronnie Shannon) - 6:34
4. Soul serenade (chanson écrite par King Curtis, saxophoniste du groupe et chef d'orchestre en tournée) - 9:26
5. Don't let me lose this dream (chanson écrite par Aretha et son mari) - 12:05
6. Baby, baby, baby (chanson écrite par Aretha et sa soeur) - 14:28
7. Dr. Feelgood (Love is a serious business) (chanson écrite par Aretha et son mari) - 17:22
8. Good times (chanson écrite par Sam Cooke) - 20:45
9. Do right woman, do right man (chanson écrite pour l'occasion par Dan Penn et Chips Moman, leur premier grand succès) - 22:55
10. Save me (chanson écrite par Aretha et sa soeur, et King Curtis) - 26:11
11. A change is gonna come (chanson écrite par Sam Cooke) - 28:32

La démo de Dr. Feelgood, l'un des plus beaux blues d'Aretha Franklin, fin 1966 à New-York, avec basse, batterie, et Aretha au piano, est du bonheur à l'état brut.

Le disque, son premier pour la marque Atlantic, devait être enregistré aux studios FAME de Muscle Shoals, Alabama en janvier 1967, avec Aretha Franklin au chant et au piano et les musiciens locaux, c'était l'idée de Jerry Wexler, le producteur.

Le premier jour, seule la chanson titre fut enregistrée et, en fin de soirée, un trompettiste blanc (Ken Laxton) fit une remarque raciste. Exigeant des excuses et ne trouvant pas de solution satisfaisante, Aretha Franklin annula la session et rentra à New-York.

Le disque fut donc terminé à New-York, mais avec les musiciens (sauf Laxton, bien sûr) d'Alabama que Wexler avait fait venir sans le dire à Rick Hall, le directeur des studios FAME.

On y retrouve les influences majeures d'Aretha Franklin: Sam Cooke, Ray Charles, mais aussi un hommage à la jeune star montante du sud des Etats-Unis, Otis Redding. On y trouve aussi 4 titres co-écrits par Aretha elle-même.

Non seulement Aretha était une grand pianiste, mais aussi une grande musicienne et elle aurait du être créditée comme productrice (ou au moins co-productrice avec Jerry Wexler) de cet album car c’est elle qui écrivait la plupart des arrangements de toutes ces chansons, y compris Respect, Do Right Woman ou plus tard Think, qui ne sont pas les plus simples, écrivant les choeurs avec sa soeur Carolyn, décrivant à chaque musicien ce qu’il devait jouer, etc.

De retour à Muscle Shoals, et avec l'aide de Wexler, les musiciens ouvrirent leur propre studio d'enregistrement, Muscle Shoals Sound Studio...
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Mes contributions


Si vous lisez ces jours-ci des biographies d'Aretha Franklin, souvent truffées d'erreurs, vous y verrez souvent allusion à cette "fameuse" interview dans Time Magazine en 1968. Il y a longtemps de cela, j'ai acheté une version de ce magazine et j'ai traduit l'interview en français ici:

LADY SOUL: SINGING IT LIKE IT IS
Time Magazine, le 28 Juin 1968

Pour le même site web (consacré principalement à Otis Redding), j'avais aussi fait cette comparaison des versions d'Otis Redding et d'Aretha Franklin de la chanson Respect:

Otis Redding reconnaissait lui-même que la version d'Aretha Franklin était supérieure à la sienne: il le dit dans le concert à Monterey en juin 1967. Et puis finalement il copie la version d'Aretha dans une émission à la télévision la veille sa mort (émission Upbeat de Don Webster, Cleveland, 9 décembre 1967):

En 2009, j'avais écrit un petit article dans Siné Hebdo sur la filiation entre Aretha Franklin, Esther Phillips et Dinah Washington.

J'ai vu Aretha Franklin en concert trois fois (en 1995, 2008 et 2014). Trop jeune pour l'avoir vu à sa meilleur époque, j'ai le souvenir de concerts inégaux, mais aussi que LE moment fabuleux du concert était lorsqu'elle se mettait au piano et revenait à la base de la musique et de l'émotion. Par exemple avec Bridge Over Troubled Water, le 15 novembre 2011 au Texas:


Alors on pouvait se croire projeté en arrière le 7 mars 1971 en Californie:


La troisième fois que j'ai vu Aretha Franklin en concert, c'était à Montréal en juillet 2014, et j'en avais rédigé un compte rendu...
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Aretha et la politique


On a, à mon avis, exagéré l'engagement politique d'Aretha Franklin. Certes la famille était amie avec Martin Luther King, et elle l'a soutenu autant qu'elle a pu, ainsi que Barack Obama 40 ans plus tard. Elle a, en revanche refusé de chanter pour Donald Trump.

Une chanson comme Respect a peut-être été utilisée comme galvanisatrice par les Noirs américains pendant le mouvement pour les droits civiques, mais ce n'était pas son but initial. En revanche, c'était une chanson politique puisque féministe, comme c'est raconté ici (autres chansons à teneur féministe: Do Right Woman, Natural Woman, Think, Chain of Fools, Sisters Are Doing It For Themselves...):

"Respect" ou comment transformer une chanson machiste en un hymne féministe
L'Histgeobox, le 22 août 2018

A l'instar de beaucoup d'artistes, Aretha Franklin n'avait soit pas envie soit pas la capacité de s'exprimer politiquement, ce qui n'empêche pas qu'au fond d'elle même elle ait eu des opinions ou une "sensibilité" naturelle, une inclination envers certaines causes ou certaines personnes qu'elle a soutenu plus ou moins discrètement: Martin Luther King, Jesse Jackson, Barack Obama, mais aussi Angela Davisles Black Panthers et, selon certaines rumeurs, Mohamed Aliles prisonniers de Attica, ou les étudiants noirs de l'université de Kent State...

Elle a proposé de verser une caution pour la libération d'Angela Davis en 1970, comme cette dernière le racontait ici en 2013:

Elle participe à la BO du film Malcolm X de Spike Lee en 1992. Elle y chante Someday We'll All Be Free, chanson engagée de  Donny Hathaway en 1973, bien que, comme Respect elle n'ait pas forcément été écrite dans ce but. Aretha Franklin rajoute une intro gospel avec une répétition de "One of these old days", hommage direct à la fin du plus célèbre sermon de son père, C.L. Franklin, The Eagle Stirreth Her Nest (autres morceaux engagés qu’elle a choisi de reprendre : A Change Is Gonna Come et Young Gifted And Black).

Le sujet de l'implication politique des artistes Soul pourrait d'ailleurs être intéressant si elle était étudiée avec les nuances nécessaires: une inclination naturelle (qui fait qu'on entend souvent parler de dons d'argent important de ces artistes à des causes pourtant quasiment qualifiées de terroristes à l'époque, mais très discrètement: c'est aussi le cas pour Marvin Gaye, Stevie Wonder ou Prince), mais peu de déclarations (soit par incapacité, soit par peur de déplaire au plus grand nombre), une confusion parfois dans des allégeances contradictoires (James Brown est le plus exemplaire, mais aussi Ray Charles, ou le capitalisme noir d'Otis Redding ou de Sam Cooke...), etc.
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Les débuts

Seize minutes à la télé dans sa période jazzy, mais déjà très bluesy en 1964 (je ne sais pas pourquoi, les 16 minutes sont répétées deux fois):


Live on The Steve Allen Show (1964)
1) Lover Come Back To Me
2) Rock-A-Bye Your Baby With A Dixie Melody (Aretha au piano)
3) It Won't Be Long (Aretha au piano)
4) Skylark
5) Evil Gal Blues (Aretha au piano)

Do Right Woman, The Merv Griffin Show (1967)

Hollywood Palace (1968)
1) I Say A Little Prayer
2) Come Back Baby
3) Medley avec Sammy Davis Jr: What Is Soul?, Think, Respect et What'd I Say?

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Grands concerts


Les concerts du Fillmore West les 5, 6 et 7 mars 1971:


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Aretha Gospel


Precious Lord aux obsèques de Martin Luther King, 1968

Precious Lord aux obsèques de Mahalia Jackson, 1972

Precious Lord, en hommage à C.L. Franklin et à Martin Luther King, 1984

Precious Lord, en hommage à Martin Luther King, 2011

Precious Lord, en 1956 à Detroit (oui, Aretha Franklin a 14 ans), et Mary Don't You Weep, en 1972 à Detroit (on attend toujours le film de Amazing Grace dont Aretha Franklin a toujours retardé la sortie...)
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Duos

Aretha Franklin et Ray Charles - Ain't But The One (Duke Ellington Tribute 1973)

Aretha Franklin et Ray Charles - Two to Tango (Midnight Special 1975)

Aretha Franklin et Smokey Robinson - Ooo Baby Baby, 1979

Aretha Franklin et Billy Preston - Holy Night, 1986

Aretha Franklin et Stevie Wonder - Until you come back to me, 2005

Aretha Franklin, Dennis Edwards et Ronald Isley - A Song For You, 2011
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Aretha retourne au piano:

Dans une émission humoristique en 1991:

You Make Me Feel Like A Natural Woman, en décembre 2015 (probablement sa dernière performance fantastique)

Rock of Ages, un classique de gospel de 8 minutes, en septembre 2016

L'hymne national américain, en novembre 2016

Son dernier concert gratuit à Detroit en juin 2017:
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Ses dernières apparitions

A la Maison Blanche en avril 2014:


A la Maison Blanche en avril 2015:

Son dernier concert à New York en novembre 2017:

Sa dernière apparition à la télé en avril 2018
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Et il reste qui dans les musicien.ne.s de Soul?

Diana Ross, Tina Turner, Carla Thomas, Irma Thomas, Valerie Simpson, Shirley Brown, Millie Jackson, Mavis Staples, Gladys Knight, Dionne Warwick, Betty Wright, Candi Staton, Martha Reeves, Chaka Khan, Roberta Flack, Maxine Brown, Betty Harris, Baby Washington, Little Richard, Smokey Robinson, Al Green, Stevie Wonder, Sam Moore, Clarence Carter, Eddie Floyd, William Bell, Ronald Isley, Jerry Butler, Eddie Levert, Latimore, George Clinton, Bootsy Collins, Larry Graham, George Benson, Bill Withers, Joe Simon, Lloyd Price, Chuck Jackson...
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Documentaire


Jean Asselmeyer et Sandrine-Malika Charlemagne réalisent en ce moment un film documentaire autour de la vie de deux militants du Parti Communiste Algérien, "Gilberte et William Sportisse, un couple des combat". Agés de 100 ans et de 97 ans, ils témoignent sur plus de 70 années de luttes pour l'Algérie indépendante, en toile de fond la ville de Constantine, ainsi que des éclairages inédits sur le PCA et la situation des Juifs Algériens.

De culture juive et de langue maternelle arabe, pour William, l'Algérie est leur pays, bien qu'ils aient connu la prison et la torture parce que militants pour l'indépendance sous le joug colonial et parce que communistes pendant l'ère Boumédienne. Malgré ces souffrances ils sont restés fidèles à l'Algérie. Pendant sa détention après le coup d’État du président Boumédienne, au moment de la guerre des 6 jours, William lui a envoyé une lettre pour le féliciter de sa solidarité avec le peuple Palestinien. A sa sortie de prison et à la fin de sa période d'assignation à résidence, William Sportisse a pu exercer les fonctions de directeur d'une société nationale de l'Algérie indépendante... Le film évoquera également la belle figure de Lucien Sportisse, son frère, dirigeant du PCA puis secrétaire de la section PCF de Sevran qui, après avoir rejoint la Résistance, a été abattu par la milice en mars 1944 à Lyon.

Menacé par le FIS et le GIA, Gilberte et William ont du quitter leur pays l'Algérie en 1994 pour le Val de Marne. Ils ont continué à militer en tant qu'internationalistes et Algériens au sein du PAGS et du PADS, dans la continuité du PCA.

Jean Asselmeyer et Sandrine-Malika Charlemagne ont besoin d'argent:

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