mercredi 12 novembre 2008
Siné Hebdo #10 : Origines Contrôlées en concert
१२ novembre २००८
Suite de l'interview de Mouss et Hakim:
Dror : Comment bien doser musique et politique, à votre avis ?
Mouss et Hakim : On a appris avec les Motivés que c’était bien de s’entourer de militants, avec une réflexion poussée, mais c’est important aussi l’action. C’est pour ça qu’on aime bien aussi les gens de terrain, le MIB (1) par exemple, ou les gens du Forum Social des Quartiers Populaires (2). Par exemple, on est allé partout où Bové nous appelait, et on l’aime bien, Bové, mais quand on l’invite au Forum Social des Quartiers Populaires, il ne vient pas, il n’a pas le temps. Alors on a monté Tactikollectif et, en tant que musiciens, on est prêts à intervenir dans toutes les mobilisations si on nous appelle, pour les sans-papiers, la Palestine, des grèves...
D : Pouvez-vous m'expliquer ce que sont les « scopitones » ?
M & H : C’est les clips des années 60. Il y avait des lecteurs de scopitones, c’était des jukebox vidéos, dans les bars : tu mettais un franc et y avait une petite vidéo. Et ces artistes immigrés en on fait, c’est un vrai patrimoine qui existe. Dans la revue (3), on a fait ce travail de recherche, on explique un peu les modes de production. Il y a un film qui s’appelle Trésors de Scopitones (4), un film qui retrace cette histoire-là.
D : Les Français n’écoutaient pas cette musique, elle n’était pas non plus exportée en Algérie, il n’y avait donc que les immigrés qui l'écoutaient ?
M & H : Oui, mais ça suffisait pour faire exister des artistes qui continuaient à travailler, à écrire...
D : C’était une façon originale de diffuser la musique. Peut-être que c’est le moment de penser à des formes originales de diffusion, avec la crise du disque ?
M & H : Exactement. Au départ, on s’appuyait aussi là-dessus nous-mêmes, en tant que musiciens. On se dit : c’est quoi notre rôle quand tu regardes ce qu’ont fait ces artistes-là, leur place dans l’histoire? Donc la transmission, nous, c’est ça qu’on aime, en fait. Ca nous permet de nous replonger dans ce répertoire, ce patrimoine, de le comprendre mieux, et aujourd’hui de se rendre compte qu’il est partageable, c’est quand même vachement intéressant.
D : Mais écrire vos propres textes c’est bien aussi ?
M & H : Bien sûr qu’on y reviendra, mais c’est un passage, c’est une période de notre vie de musiciens...
D : Certains des artistes que vous reprenez, c’est plutôt vos parents qui les écoutaient, mais vous, dans votre enfance ?
M & H : Á 15 ans, on a halluciné ! 15 piges, tu vois arriver Carte de Séjour (5), un groupe de rock qui chante en arabe, Zoubida, la Rhorhomanie... Pour moi, ce qu’il y a de plus contemporain dans cette histoire, c’est Carte de Séjour.
D : Et Djamel Allam ?
M & H : C’était plus « folk », un peu comme Idir. Idir c’est la musique qui l’a fait immigrer. Mais c’est un des premiers qui est passé à la télé française. Après il y en a d’autres comme Matoub Lounes ou Ait Menguellet, mais ils font des allers et retours, ce ne sont pas des immigrés.
D : Et aujourd’hui, est-ce qu’il existe une musique spécifique des migrants ?
M & H : Aujourd’hui, ce n’est pas du tout la même période. La période de Silman Azem, Dahmane El Harrachi, c’est une période qui est emplie du mythe du retour, c’est une période où il n’y a pas de mondialisation. Aujourd’hui, c’est plutôt l’aller-retour, même au niveau de la musique, parce qu’ils ont les mêmes influences que toi et moi, même s’ils ont grandi en Algérie ou au Maroc. Ils ont écouté du rock, ils ont écouté autre chose. Peut-être que tu vas la trouver plus dans le rap, du rap en arabe.
Mais les thèmes sont les mêmes : il y a le rapport au racisme, la discrimination, les sans-papiers... Dans cette parole-là, avec les enfants de l’immigration, on a été parmi ceux, avec Zebda, qui sont le prolongement direct de cette histoire. On n’est pas dans le prolongement artistique, c’est pour ça qu’on le situe dans le domaine historique, mais il y a un lien de sens très fort qui fait qu’il y a un prolongement. Il y a une évolution générationnelle. Il y a quelque chose qui fait qu’aujourd’hui les clivages culturels sont bien moins importants qu’ils ne l’étaient à l’époque de Sliman Azem.
D : J’ai lu quelque part que lors de votre dernière interview pour Charlie Hebdo, à l’époque de Zebda, vos propos avaient été censurés. Peux-tu nous raconter ?
M & H : En 1999, on avait fait une émission à la télé avec Michel Field et il nous avait dit : « Vous faites ce que vous voulez », alors on avait invité le MIB, et on avait fait toute notre émission autour de la double peine, avec des témoignages magnifiques. Après, on avait fait une interview croisée pour Charlie Hebdo, avec Pierre Carles et Olivier Cyran, autour de cette émission, et on avait exprimé une déception sur la façon dont ça avait été géré, mais on avait quand même été ravis. On avait été tout en nuances en parlant de la télé. Et puis à l’arrivée, dans Charlie Hebdo, ça avait fini par un truc vraiment tronqué où le titre était : « Y a pas d’arrangement avec la télé » alors qu’on en faisait. Ça nous a vraiment fait chier. Nous, on ne fait pas tout et n’importe quoi, on prend le temps d’expliquer, on a l’impression qu’on a affaire à des gens qui peuvent accepter la complexité et, en fait, on se retrouve trahis, dans un truc super simpliste.
Ce n’était pas super, mais ce n’est pas ça qui fait que Charlie, on l’aime pas. C’est plus tard que c’est venu. En 2000, on s’est retrouvés à Millau, dans un concert de soutien avec Zebda, Noir Désir... y avait vraiment du monde. C’était au moment du procès de Bové, c’était un moment vraiment super important, ça venait de partout. Toutes les dynamiques citoyennes, on peut dire ce qu’on veut, elles étaient vraiment présentes. Et là, on arrive et on voit Val qui présente la soirée. « Qu’est-ce qu’il fout là ? » on se demande. On se dit peut-être qu’il est là par conviction ou alors il est là par opportunisme. Et six mois après, il se met à cracher sur tout ça. Alors il était là par opportunisme à 2000%.
D : Un dernier mot sur l’actualité politique ?
M & H : Nos vraies divergences avec Charlie Hebdo, elles sont venues quand on a compris à quel point Val est LE patron. Et, avec ses positions à lui, par rapport à la Palestine, la guerre en Irak, par rapport au Kosovo, toutes ces positions successives : c’est pas possible.
Et si tu ajoutes à ça la question des caricatures, alors c’est le sommet, c’est affligeant. Comment on peut oser prétendre défendre la liberté d’expression alors qu’on laisse La Rumeur (6) inculpé, les gens se faire traîner devant les tribunaux, sans rien dire ? À aucun moment, il n’aura l’humilité de dire à quel point c’est les musulmans les premiers qui ont dérouillé...
(1) MIB : Le mouvement de l’immigration et des banlieues est un groupe militant de terrain dans les banlieues françaises. Il dénonce en particulier les discriminations subies en France par les immigrés et les enfants d’immigrés.
http://mibmib.free.fr/
(2) FSQP : Le forum social des quartiers populaires est la réponse du terrain des banlieues aux forums sociaux altermondialistes de plus en plus bobos. Le deuxième s’est déroulé le mois dernier à Nanterre.
http://fsqp.free.fr/
(3) La revue Origines Contrôlées : Le projet dépasse et précède le CD de Mouss et Hakim puisqu'un festival (voir ci-dessous) et une revue autour de la mémoire de la culture des migrants en France existent depuis 2005.
http://www.tactikollectif.org/
(4) Trésors de Scopitones : C'est un documentaire de 52 minutes de Michèle Collery et Anaïs Prozaic, produit en 1999 par Dum Dum Films et Canal +.
(5) Carte de Séjour : C'est le premier groupe de Rachid Taha, actif dans les années 80 et connu aussi pour sa reprise de Douce France de Charles Trenet
(6) La Rumeur : Groupe de rap français dont le chanteur Mohamed « Hamé » Bourokba a été poursuivi avec acharnement par Nicolas Sarkozy depuis 2002 pour avoir écrit : « Les rapports du ministère de l’Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété. »
Origines Contrôlées en concert :
8-17 novembre (Toulouse) : 5ème festival Origines Contrôlées, avec des conférences, concerts, humoristes, projections de films, pièces de théâtre, expositions… Avec, entre autres, Maurice El Medioni le 12, Mouss et Hakim le 13 (AOC : mini-concert gratuit dans un bar) et le 17 (avec Akli Yahiaten et l'Orchestre d'Harmonie Herblinois), Soirée Dub le 14, Soirée Hip Hop le 15 et Femi Kuti le 16...
http://www.tactikollectif.org/
21 novembre (Fleury Mérogis)
29 novembre (La Cigale à Paris)
6 décembre (Cholet)
Un morceau:
Maison Blanche (Mouss & Hakim, Origines Contrôlées, 2007). Morceau composé par Cheikh El Hasnaoui en 1948. "Maison Blanche" est le surnom de l'aéroport d'Alger.
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3 commentaires:
Hier soir, lundi 17, Mouss et Hakim ont mis le feu à la halle au grain avec l'orchestre symphonique de St-Herblain (44), précédés par un émouvant et très péchu Akli Yahiaten, un de ces fameux musiciens figures de l'immigration algérienne. 75 ans le papi, un sourire épatant, et qui a fait tourner le coeur des filles, c'est sûr...
Ce matin, on s'y remet, les luttes pour l'immigration et le métissage continuent!
J'avais vu le spectacle des motivés : un bain de jouvance! J'avais vu Zebda en 97 sous un chapiteau une découverte formidable.
A la fin de l'article "papier je vois qu'origine controlée est rangée à Musiques du monde à la Fnac. ça m'a fait penser à ça:
Moi jusqu'à il y a peu je pensais que Rachid Taha était avant tout un musicien une sorte de rock-star plutôt sexy mélangeant des styles et diverses inspirations; du raï à la techno. Le croisement de Lili Boniche et Joe strummer peut être... Il y a quelques jours cherchant un de ses albums dans ma médiathèque préférée je commence à chercher dans pop puis rock puis chanson française...puis dans l'ordinateur pour voir où ils avaient bien pu le classer. Algérie! Rachid Taha a été classé dans Algérie. Rachid Taha serait donc un chanteur folklorique(au sens noble du terme) algérien! C'est bizarre je crois bien avoir aperçu Céline Dion dans chanson française...
Bien d'accord avec vous.
Et le concert à la Cigale était fantastique aussi, avec les chanteurs de Desert Rebel et du Ministère des Affaires Populaires en guests.
A suivre, j'espère...
Dror
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