mercredi 17 juin 2020

ELO#410 - MOVE


Dror, Entre Les Oreilles, le 17 juin 2020

Une de ces pages sombres de l'histoire des États-Unis qu'une histoire alternative doit préserver de l'oubli...

Aujourd'hui celle de la communauté MOVE de Philadelphie...


Ça commence en 1972, un groupe de Noir.es américain.es décide de s'organiser selon leurs règles. La société ne leur plaît pas, ils  et elles veulent vivre à l'écart du racisme et du capitalisme, en retour à la nature, se laissant pousser les cheveux en dread-locks, végétarien.nes, antimilitaristes, anti-technologie, ils ne boivent pas, ne fument pas, ne se droguent pas, tout en étant très politisé.es dans la mouvance des Black Panthers. Leur "leader" se fait appeler John Africa, et toutes et tous ont pris Africa comme nom de famille.

Révolutionnaires, ils et elles sont proches du christianisme et optent pour la non violence. Illes se font connaître en manifestant contre l'exploitation des animaux, les zoos, le nucléaire, la brutalité policière, mais aussi en intervenant dans des débats publics pour poser des questions gênantes aux conférenciers (comme Jane Fonda, Dick Gregory, Richie Havens, Walter Mondale ou Buckminster Fuller) qui passent en ville. Leur éloquence s'exprime également lors des nombreux procès qu'ils et elles subissent, où illes en profitent pour démonter l'absurdité des accusations dont illes font l'objet. Illes s'occupent aussi des sans abris, des personnes qui sortent de prison, des personnes âgées de leur quartier. Illes offrent de la nourriture et du bois de chauffe à ceux qui en ont besoin... Leur succès auprès des jeunes est vu d'un mauvais œil par les autorités qui vont essayer de leur mettre des bâtons dans les roues, puis dans la gueule, puis finalement des bâtons de dynamite...

Régulièrement ils et elles sont harcelé.es, arrêté;es, battu.es, y compris (et même peut-être "en particulier") les femmes enceintes ou qui portent un bébé dans leurs bras, qui font souvent des fausses couches et qui, en 1976, cause la mort d'un bébé. Suite à une autre bagarre, en 1976, trois membres sont emprisonnés pour de longues peines, et la demande de leur libération devient le combat principal de MOVE. Ils posent avec des armes à feu, le plus souvent factices.

En 1978, première tentative de la police et de la ville de les chasser de la maison qu'ils et elles louent. Un siège de deux mois est imposé pendant lequel l'électricité et l'eau sont coupées, et tout ravitaillement est empêché. Après une négociation, les trois prisonniers sont libérés, les poursuites sont abandonnées, et MOVE accepte de quitter la maison sous 90 jours. 

En mai, la police fouille la maison, constate qu'il n'y a pas d'armes à feu de cachées, et décide à nouveau d'arrêter les membres de MOVE. En août, des centaines de policiers entourent la maison, mais les membres restant (une vingtaine de personnes, hommes, femmes, enfants) refusent de se rendre. La police commence par des gaz lacrymogènes, et puis une fusillade survient. Alors que les membres de MOVE affirment qu'aucune de leurs armes à feu n'était fonctionnelle ce jour là, un policier meurt par balle (aujourd'hui on pense qu'il est mort d'un tir "ami"). Lorsque les tirs s'arrêtent, les membres de MOVE sortent et sont immédiatement arrêtés et tabassés. Pour ce policier mort d'une seule balle, neuf membres de MOVE, dont une femme enceinte, Debbie Africa, seront condamnés à des peines de 30 à 100 ans de prison. Des bulldozers ayant immédiatement rasé la maison, plus aucune preuve ne pouvait innocenter les membres de MOVE de l'accusation de tir. De nombreuses tentatives d'appel du jugement furent néanmoins testées, sans succès, mais ce n'était que le début.....

Deux des neuf prisonniers mourront en prison (Phil Africa, un jeune homme, et Merle Africa, une jeune femme, en pleine forme, dans des conditions étranges), et la plupart y passeront plus de 40 ans, refusant de renier leur engagement auprès de MOVE. La femme enceinte, Debbie Africa, et son compagnon, Mike Africa, n'auront connu leur fils né en prison, Mike Africa Jr., qu'à 39 ans. Quelques mois après leur libération, ils se marient. Le dernier des neuf n'est sorti qu'en février 2020 (pour rentrer en confinement un mois plus tard!), après 42 ans de prison!


Anecdote: à Philadelphie, parmi les intellos noirs de la ville séduits par MOVE et les Black Panthers, on trouve le jeune journaliste Mumia Abu-Jamal qui a couvert l'affaire de 1978. Lui aussi sera accusé d'avoir tué un flic, en 1981, et attend depuis près de 40 ans qu'on découvre qu'il n'est pas le coupable... Mais ça n'est pas tout...

Le comble de l'histoire se déroule en mai 1985: la police et la ville veulent en finir avec MOVE qui, entre temps, à déménagé dans une nouvelle maison. Ayant un mandat d'arrêt pour certains membres, pour des incidents mineurs (du genre "trouble sur la voie publique"), 500 policiers entourent la maison. A nouveau, coupure d'eau et d'électricité, les flics forcent la porte, mais les membres de la communauté refusent de se rendre et se réfugient dans le sous sol de la maison. Après les gaz lacrymogènes, la police décide d'inonder le sous sol pour forcer la douzaine de personnes (hommes, femmes, enfants) à sortir. Plus de dix-mille coups de feu seront tirés, et il est probable que tous émanent de la police. Un policier témoignera qu'il a installé une mitraillette face à la maison, avant de se rétracter le jour du procès. Pour une simple bande de hippies qu'ils n'arrivent pas à déloger, le chef de la police franchit une étape de plus dans la folie et demande à un hélicoptère de la police de larguer une bombe sur le toit de la maison. Après l'explosion, un incendie se déclare, et le chef de la police demande au chef des pompiers de laisser la maison brûler. 65 maisons seront détruites par le feu, empêchant encore une fois de recueillir des preuves pour un éventuel procès. 11 personnes seront assassinées, dont John Africa, et 5 enfants... Des soupçons existent quant à la présence de policiers en embuscade, chargés de tirer sur les membres qui sortiraient de la maison, pour les forcer à retourner dans la maison et y mourir. Seule une femme, Ramona, et un enfant, Birdie, survivront. Ramona Africa sera condamnée à 7 ans de prison, et elle les effectuera jusqu'au dernier jour. Dix ans plus tard, l'action de la police sera jugée "excessive", mais aucun policier ni membre de la mairie ne sera condamné à un seul jour de prison.


Incroyable, non?

Si mon petit résumé ne vous suffit pas, un site web entier leur est consacré:
http://www.move-thestory.com/accueil.html

Un documentaire en français de 20 minutes, centré sur l'histoire de Debbie et Mike est ici:

Et un documentaire d'une heure et demi, déprimant:

Pour un lien avec la musique, quand même, même si aucune chanson à ma connaissance ne fait encore allusion à cette histoire, Mike Jr. est un rappeur. On l'a vu récemment aux manifestations pour George Floyd, et il n'a pas la langue dans sa poche: Time To Rise
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Aretha Franklin


Un set gospel de 2005 en hommage à Sam Cooke:
Precious Memories
https://www.youtube.com/watch?v=oWid-rcDsGM
I Came to Lift Him Up
https://www.youtube.com/watch?v=FyJ64grg7Ss
He Never Lost a Fight
https://www.youtube.com/watch?v=_lawzFkxBao
A Change Is Gonna Come (avec Solomon Burke)
https://www.youtube.com/watch?v=0Mjacsxtnd4
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Agenda culturel, militant et scientifique!


Selon le calendrier Maya, la fin du monde est pour cette semaine:
Alternate reading of Mayan calendar suggests end of the world is next week
Paula Froelich, The New-York Post, le 13 juin 2020
https://nypost.com/2020/06/13/reading-of-mayan-calendar-suggests-end-of-the-world-is-next-week/

Pour celles et ceux qui s'intéressent à l'histoire de la colonisation du Canada et à l'oppression des populations autochtones, ce documentaire en retrace un épisode méconnu, et il est gratuit jusqu'au 30 juin:
The Pass System (Alex Williams / Canadá / 2015 / 51 ' / English)
https://vimeo.com/ondemand/thepasssystemfilm
Code: justice (attention, ce n'est pas un "code VIP", il faut faire comme si vous vouliez louer le film, et juste à la fin, au lieu de payer, vous mettez le code)

19 juin 18h: conférence virtuelle de Belkacem Meziane sur Gil Scott-Heron
https://www.facebook.com/events/843461242845302/
   
19 juin 20h: projection suivie d'un débat, du documentaire Demain est si loin de Muriel Cravatte (2019, France, 88 min)
https://www.facebook.com/events/1165149137184372/

20 juin 14h Place de la Nation: manifestation "Sans-Papiers: si le pouvoir n’entend pas il faut crier plus fort !"
https://blogs.mediapart.fr/marche-des-solidarites/blog/090620/20-juin-plus-nombreux-et-nombreuses-encore-avec-les-sans-papiers

25 juin 15h: webinaire scientifique avec Robert Penner "Backbone free energy estimator, a new geometric tool in structural biology"
https://us02web.zoom.us/j/81758211118?pwd=c0ZTZ2V0bTMwcWJvamxrUm40aFRKdz09

27 juin, 15h M° Barbes: Marche unitaire pour la Palestine, contre l'annexion de la Vallée du Jourdain par israel
https://www.facebook.com/events/266656274678637/

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